(Ce numéro des "Cahiers
de l'Actif" contient un dossier de 153 pages; y ont participé
- par ordre de parution dans la revue:
Anne Fournier, Nathalie Luca,
Florence Lacroix, Jacques Guyard, la MILS, Jean-Pierre Bousquet, Janine
Tavernier, Didier Pachjoud, François Marchiani, Didier Thomas,
Max Bouderlique, Michel Sidobre, et Henri Perret.)
SECTES ET MILIEU EDUCATIF
Avant-propos : l'auteur Note
Définitions
Le phénomène sectaire pourrait-il
plus facilement concerner les milieux éducatifs ?
Raisons d'ordre professionnel se transformant en
motivations personnelles:
Groupes spécialisés
Psychologie et psychiatrie
Opération séduction
La loi du silence
Lavage de cerveau - Contrôle mental
Education… de l'éducateur
A propos du Rapport
de la Mission Interministérielle de Lutte contre les Sectes
Avant-propos
: l'auteur
Ancien patron fondateur d'une organisation
scientologue française régionale, Roger Gonnet a finalement
quitté cette secte qu'on peut qualifier de prototype des sectes
coercitives, au bout de huit ans.
Il est l'auteur de l'ouvrage " La Secte " - secte armée
pour la guerre, chroniques d'une " religion " commerciale
à irresponsabilité illimitée (Alban édition,
sortie novembre 1998), ouvrage qu'il qualifie d'entreprise de destruction
systématique d'une multinationale de l'escroquerie.
Il entretient par ailleurs les deux sites internet francophones critiques
de la scientologie - dianétique les plus documentés et
les plus complets existant au monde (http://www.antisectes.net)
et http://www.home.ch/~spaw1736/sciento-vs-internet
[site pas à jour, note ajoutée], qui contiennent chacun
quelques 3 millions de mots.
Note :
Que les lecteurs veuillent être
indulgents : la plupart des exemples cités proviennent de la
secte prototype. Je ferais d'ailleurs observer qu'elle a tant abusé
des failles juridiques et des lenteurs des gouvernements, qu'en dehors
des Etats-Unis où elle jouit d'une protection toute relative
(suite à des chantages et autres combines illégales),
la scientologie est actuellement partout décriée; ajoutons
que c'est en fait à ses manœuvres trompeuses que tous les autres
mouvements coercitifs similaires doivent une partie de leurs ennuis
: elle a sensibilisé l'opinion au problème réel
du lavage de cerveau et des techniques de contrôle mental, et
reste de très loin la plus souvent citée ou attaquée,
y compris dans son propre berceau, les USA. Les Témoins de Jéhovah,
qui n'étaient certes pas parfaits mais restaient souvent acceptables
en dehors de quelques détails qu'ils pourraient probablement
régler sans perdre leur âme, ont par exemple eu le tort
de copier certaines de ses politiques de défense, ce qui leur
a valu des retours de bâton.
Les " religions " qui s'entourent désormais d'avocats
ne servant qu'à leur monter le bourrichon et descendre leur portefeuille
- excusez ma trivialité - deviennent forcément suspectes.
On peut les mettre en parallèle avec ces sociétés
chimiques ou pétrolières défendant leurs "
droits " après Bohpal et ses 25000 morts, ou après
le naufrage de l'Exxon Valdez en Alaska, sous la houlette d'un capitaine
ivrogne.
Définitions
En dépit de l'intérêt
que représente le débat ouvert sur la question des définitions
de ce que recouvre le terme " sectes ", nous ne l'aborderons
que par un rapide résumé. Les sectes, au sens fin du XXe
siècle le plus connu et le plus usité, sont ici ces mouvements
philosophiques ou pseudo-philosophiques, religieux ou pseudo-religieux,
parfois mêmes politiques, qui cherchent, pour quelques-uns d'entre
eux, à dominer et contrôler l'existence de leurs adeptes,
à leur soutirer des sommes ou un travail considérable,
et parfois, à faire adopter leur point de vue totalitaire à
l'ensemble de la planète. C'est donc uniquement au sens moderne
du terme qu'il est envisagé ici, à l'exclusion de ses
définitions de base : mouvement dissident d'une religion principale.
Un mot toutefois : certains mouvements dissidents, en particulier ceux
bâtis sur des versions spéciales de la Bible, sont à
la fois des sectes au sens ancien et au sens moderne. Moon " l'église
de l'Unification " en est un exemple.
Il va de soi qu'il existe de très grandes différences
de dangerosité entre ces mouvements. Nous nous occupons surtout
ici des plus dangereux (scientologie ; Moon; IVI ; Hue ; Raël etc).
Précisons que si des rapports officiels comme ceux des Commissions
d'Enquête de l'assemblée nationale en France ou en Belgique,
ont cru utile d'établir une liste de mouvements sectaires, c'est
qu'il existe toujours une crainte que certains d'entre eux, qui étaient
calmes et peu gênants jusque là, ne virent un jour à
la folie meurtrière. C'est ainsi que l'OTS a assassiné
la plupart de ses adeptes, sans que quiconque ait pu prévoir
cette fin tragique. On ne peut donc pas se passer d'une liste des mouvements
présentant des caractères sectaires ; cependant, c'est
à chacun, en son âme et conscience, de faire au mieux le
tour des caractéristiques sectaires d'un mouvement, qu'il soit
ou non répertorié, avant de juger de ses dangers éventuels
ou de sa qualification de " secte ". On remarquera cependant
que parmi tous ces groupes à prétentions idéalistes
se résumant trop souvent à des questions bassement financières,
aucun n'a jamais accepté de se qualifier de " secte "
ou de " sectaire " . Ce sont en effet des termes péjoratifs.
Cependant, céder au politiquement correct ne ferait ici qu'aggraver
la confusion qu'ils entretiennent eux-mêmes à dessein,
car leurs intentions ne cadrent pas souvent avec leurs activités
ou avec leurs méthodes.
Le phénomène
sectaire pourrait-il plus facilement concerner les milieux éducatifs
?
Il existe un certain nombre des raisons au fait que le milieu éducatif
soit plus particulièrement visé par l'environnement sectaire.
Tout d'abord, c'est de tout temps que les orientations philosophiques,
religieuses, psychologiques, pseudo psychologiques et croyances ont
orienté les méthodes d'éducation. Dans grand nombre
de pays, notamment ceux du bloc islamique, cette influence est encore
monopolisée par les religieux. Dans d'autres, surtout en Occident,
la psychologie a partiellement remplacé le monopole des croyances
; ailleurs, comme dans l'ex-URSS, l'état et la politique tentaient
de tenir le rôle normalement dévolu aux familles ou aux
enseignants : nous avons donc toujours eu des liens étroits entre
ces domaines.
Raisons d'ordre
professionnel se transformant en motivations personnelles :
- Les éducateurs et professeurs
sont en perpétuel contact avec les problèmes humains :
être chargé d'âmes et se sentir responsable du bien-être
et du futur de centaines d'êtres humains n'est pas chose simple.
La multiplicité des problèmes de conscience et de "
technique " - si ce mot peut réellement s'appliquer ici
- entraîne bien souvent l'éducateur ou le professeur vers
un questionnement de ses théories, de sa pratique, de ses propres
méthodes vis-à-vis de ceux dont il a la charge.
- L'enseignement et la formation reçus dans le milieu éducatif
contribuent aussi à diriger l'attention du professionnel en direction
des problèmes humains : pédagogiques, philosophiques,
psychologiques, sanitaires, sociaux, voire théologiques.
- Les discussions entre collègues, nombreuses et immanquables
(au point qu'on a parfois caricaturé le souci constant d'information
des éducateurs en leur attribuant une déformation professionnelle
- " les pédagos " entend-on dire) ne font qu'accentuer
l'importance qu'ils accordent à l'aspect humain de leur métier,
de leur vocation.
- Dans les milieux éducatifs spécialisés, ces premiers
points sont peut-être plus marqués encore puisque c'est
là que les difficultés de compréhension de l'être
humain est la plus criarde : les professionnels de ces milieux pourraient
être davantage tentés d'essayer certaines des solutions
qu'offrent ces mouvements : quand on croit avoir tout essayé
et que rien ne marche pour soigner un cancer physique ou moral, l'envie
de réussir peut mener vers les voies parallèles offertes.
-
Or, que font les mouvements sectaires, sinon fournir la solution , au
moins en apparence, (avec parfois quelques succès) à la
cause humaine ?
Les sectes, grâce à un ensemble de principes préétablis
et parfois rigoureux dans leur présentation, grâce aussi
à un charisme et à des techniques d'aide, à divers
processus très présents de love-bombing , paraissent parfois
en mesure de donner un certain nombre de réponses satisfaisantes
à ceux qui cherchent à combler des lacunes, réelles
ou imaginaires, dans leur pratique professionnelle.
Hors du milieu éducatif, on trouve probablement déjà
une majorité de gens préoccupés d'améliorer
leurs relations et leurs performances: cette proportion augmente encore
chez ceux qui sont constamment en butte à de réels problèmes
humains.
On peut donc facilement imaginer que les mouvements de type philosophiques
séduiront largement et tout naturellement les professions liées
à l'enfant - ou à l'homme - en proportion directe de leur
engagement et de leur dévotion à cette tâche difficile
et aux multiples visages.
Je pourrais citer l'organisation scientologique que j'ai dirigée
en exemple : dans les débuts, plus d'un tiers des "clients
" provenait du milieu enseignant.
On peut aussi constater que la politique suivie dans ces mouvements
se modifie souvent, par opportunisme et pragmatisme, attirant alors
d'autres couches de population ou de profils personnels. De plus en
plus axée sur l'argent, la scientologie semble ainsi désormais
plus orientée vers les professions de l'informatique, du conseil
et du commerce, plus capables d'assurer des versements pouvant dépasser
2 millions de francs par personne (je peux prouver ce que j'avance).
Groupes spécialisés
Afin d'assurer la meilleure pénétration
possible dans le domaine pédagogique, certaines sectes se sont
dotées d'universités (Moon) ou de nombreuses façades
comme le GAME, ABLE, APPLIED SCHOLASTICS, et de diverses crèches
ou écoles ; à ces groupes spécialisés s'ajouteront
des groupes supposés prendre en charge des problèmes de
société criants auxquels les professeurs et éducateurs
sont très sensibles : les drogues (Narconon, et le Patriarche-Dianova)
; la criminalité (Crimanon) ; les droits de l'homme (CCDH, CCHR,
Ligue pour une Justice Honnête), la tolérance religieuse
etc.
Qu'on ne se fasse aucune illusion : tous ces groupes n'ont que trois
idées en tête : a/ améliorer l'image de marque de
leur secte fondatrice, b/ attaquer ses ennemis, et c/ trouver de nouveaux
membres séduits par une approche qui leur plairait. Excusez ce
jugement radical : j'ai pratiqué assez longtemps pour les voir
à l'œuvre, et un ouvrage complet suffirait à peine à
justifier ce point de vue, tant les exemples sont nombreux.
Psychologie
et psychiatrie
Mention particulière doit
être faite de l'attaque enragée de la scientologie envers
la psychologie et la psychiatrie. Dans le même lot, religions
et médecine tiennent une place moins visible parmi les cibles.
C'est un fait que Ron Hubbard avait annoncé " l'éradication
totale de la psychiatrie pour l'an 2000 ".
On comprend bien que ces sujets ne soient ni parfaits, ni finis, ni
leurs résultats toujours satisfaisants. Cependant, la secte profite
de ces faiblesses pour relever avec une opiniâtreté sans
faille toute anomalie réelle ou imaginaire qu'elle publiera en
généralisant. Qu'un psy soit condamné pour tentative
sexuelle envers un patient sera très vite généralisé
à " la psychologie et aux psychiatres ". Si les électrochocs
ou les médicaments psychiatriques ne sont pas la panacée,
loin s'en faut, cela devient " toute la psychiatrie utilise la
camisole électrique ou chimique ".
Ces sujets sont aussi des voies d'entrée dans le monde éducatif
dont profitent ces mouvements prétendant posséder des
réponses parallèles, dont quelques-unes sont effectivement
séduisantes. Hélas, leurs effets secondaires sont souvent
dévastateurs lorsqu'elles sont appliquées sous le contrôle
de leurs " inventeurs ", puisque c'est non seulement le plat
de résistance qu'il faudra consommer, mais les sauces empoisonnées
qui l'accompagnent.
Opération
séduction
Les mouvements sectaires ont chacun
leurs méthodes ; toutefois, c'est de très loin le bouche
à oreille (quelquefois via les groupes " sociaux "
dont il est question ci-dessus) qui leur fait gagner des parts du grand
marché de l'irrationnel ou du religieux. S'il arrive assez souvent
qu'un quidam soit abordé dans la rue ou dans les lieux publics,
ce sont surtout les démarcheurs proches de la future victime
qui servent d'interfaces entre la secte vendeuse et ses prospects -
c'est là le terme que certaines utilisent. Le parent, l'ami proche
seront davantage susceptibles de convaincre ces prospects que les conférences
d'introduction, films, livres, discussions de prosélyte à
votre porte, tests et autres illusions.
Quoi qu'il en soit, les dés jetés sont pipés, dans
tous les cas. Les auteurs de l'ouvrage Snapping, les Dr Flo Conway
et Jim Siegelman, sont les auteurs d'une théorie intéressante
portant entre autres sur les phénomènes observables chez
ceux qui pénètrent une secte coercitive. C'est ce qu'ils
nomment snapping, que l'on peut traduire par rupture soudaine
avec l'environnement ou le passé: un nouvel adepte subit en effet
des pressions et séances de conviction ou séduction pouvant
entraîner plus ou moins vite une rupture d'avec ses habitudes
de vie, dont l'importance peut s'accentuer au point qu'il perdra parfois
tout contact avec sa famille et ses amis, son travail, ses centres d'intérêt
etc, qu'il dépensera brutalement la totalité de ses économies
ou s'endettera au-delà de ses moyens, parfois même en trichant
largement, allant par exemple chez plusieurs organismes de crédit
qu'il n'informe pas des autres emprunts qu'il aurait effectué.
Une autre image permet d'illustrer le phénomène de snapping
: tomber amoureux. Quand cela se produit, on constate souvent de vastes
changements d'habitude. Ce serait comparable au snapping subi lors de
l'entrée dans un mouvement. Il est indispensable d'insister sur
ce phénomène, que l'on retrouve assez bien décrit
par exemple dans le passage du procès perdu en novembre 99 par
la scientologie à Marseille ; il s'agit d'un médecin cardiologue
qui a brutalement accepté de leur signer un chèque de
132 000 F, après quelques séances " d'audition dianétique
", ou encore, autre exemple choisi par les juges, une jeune femme
fut non seulement contrainte d'entrer en section psychiatrique à
la suite des effets secondaires néfastes des procédés
scientologiques, mais son ami a immédiatement payé 5000
F de plus à la secte pour apprendre comment la soigner , alors
qu'elle était dans un état très manifestement alarmant.
(Heureusement ici, le bon sens de son ami a pris le dessus et la jeune
femme a passé quelques jours en repos médicalisé.)
La loi du silence
Il me paraît nécessaire
d'aborder l'un des aspects particuliers de la justice pour expliquer
la relative absence de plaintes à l'encontre de sectes dangereuses.
Illustrons en comparant les victimes de sectes à tous ceux qui
se font avoir par certaines cures d'amaigrissement miracle et autres
fournisseurs en poudres et recettes magiques. On peut penser que l'acheteur
de tels produits imagine confusément dès le début
qu'il pourrait s'agir d'un leurre.
Le temps passé, et de faibles résultats (on peut perdre
2 kilos en une journée par certains programmes, tout comme on
peut avoir des impressions miraculeuses d'euphorie dans une secte) laisseront
le consommateur sur sa faim - si l'on peut dire ! - Il risque donc de
se persuader, durant un temps plus ou moins long, que les techniques
qu'on lui applique ont fonctionné, et qu'elles continueront à
marcher si l'on y consacre de plus en plus de temps et d'argent.
Deuxième facteur favorisant la durée de l'engagement dans
ces mouvements : l'auto-conviction si naturellement répandue
: je ne peux pas avoir tort à ce point - sous-entendu, j'ai déjà
dépensé beaucoup, les gens autour de moi semblent heureux,
je fais mon devoir pour la société, je fais mon devoir
envers Dieu, etc ; corollaire : tout devrait donc s'améliorer.
Troisième facteur, l'abolition de la critique par la démonisation
de ceux qui s'y risqueraient ; le critique n'est habituellement pas
attaqué de front, sauf dans les cas extrêmes : on usera
du love-bombing pour lui démontrer qu'il s'agit de l'œuvre de
Satan -c'est vrai pour la plupart des groupes basés sur des écrits
déformés provenant de religions anciennes, ou pour lui
démontrer qu'il a mal compris quelque pensée essentielle
du Maître : c'est là qu'Hubbard laissa apparaître
un certain génie, en provoquant chez ses adeptes la certitude
qu'ils avaient des désaccords avec lui et ses écrits en
raison de leurs (a) mots mal compris ; ou de (b) ses exactions. Une
fois cette certitude provoquée chez l'adepte bien dressé,
rien de plus facile que l'entraîner à penser : " j'ai
toujours tort, puisque j'ai des mots mal compris, et qu'il m'arrive
de faire des actes nuisibles ".
C'est ainsi qu'en dépit des multiples constats d'échecs
que je ressentais autour de moi (abandons répétés
de nombreuses personnes ayant commencé leur voie, ou pour moi-même
- par exemple, en étant incapable de vraiment arrêter de
fumer alors que c'était mon désir), j'ai continué
des années durant à pratiquer et entraîner les autres,
espérant un hypothétique lendemain qui chanterait, tandis
que le gourou augmentait les taux des donations et le nombre des services
dans des proportions sans aucune commune mesure avec les bénéfices
imaginaires ressentis - (les bénéfices psychiques, même
imaginaires, sont sur le moment tout aussi convaincants que les autres).
Nous avons donc à la fois une abolition passive de la critique,
et des moyens actifs de l'imposer quand il le faut. On a découvert
dans certaines installations du gourou criminel d'Aum Shinrikyo, des
adeptes emprisonnés dans des cages, depuis des mois ou plus.
La scientologie entretient des véritables goulags , où
elle expédie les récalcitrants, voire tout simplement,
les auteurs de fautes tout à fait involontaires faites en toute
bonne foi pour le compte de la secte.
Quatrième facteur, l'irresponsabilisation du groupe par rapport
à l'individu, et son corollaire, la culpabilisation progressive
des membres. Au départ, l'adepte reçoit des autres convaincus
une impression de toute-puissance du groupe ; il est ainsi amené
à croire que ce dernier prendra les décisions et entreprendra
les actions nécessaires à sa propre perpétuation
; il n'en est évidemment rien : les incartades, la mauvaise publicité
ou les crises d'un adepte entraînent rapidement des réactions
punitives du groupe ou de ses chefs. Les membres finissent alors par
s'estimer responsables de tous les maux de l'univers (en fait, des seuls
du groupe), et n'ont de cesse d'apporter davantage à sa survie
, même au péril de la leur.
Cinquième facteur :à certains niveaux, le groupe peut
aller jusqu'à exiger des crimes ou des délits à
des adeptes triés selon leur engagement… crimes dont il gardera
trace, car ils peuvent servir à exercer des pressions de chantage
par la suite : l'arme est à double tranchant. Notons d'ailleurs
qu'il n'y a pas systématiquement exigence claire du groupe en
ces domaines : c'est bien souvent le membre qui décidera de lui-même
de passer la frontière pour aider sa secte. Au chantage potentiel
si l'adepte quitte la secte, s'ajoutera la honte ou la culpabilité
: à la fois la culpabilité des délits commis pour
le compte du groupe et celle d'avoir aidé à piéger
d'autres victimes - souvent des parents ou des amis proches.
Sixièmement, le membre qui s'en va après une période
assez longue souffre la plupart du temps d'un temps de latence souvent
considérable avant de réagir au lavage de cerveau subi
; on s'accorde volontiers à penser, lors de discussions entre
anciens membres, qu'au temps passé dans le groupe succède
un temps plus ou moins équivalent avant de décider de
le critiquer publiquement; nombre de procès contre ces mouvements
se perdent ainsi en route, les délais légaux de plainte
étant dépassés.
Tous ces facteurs combinés à un septième (les bénéfices
imaginaires - ou réels, que chacun en juge par lui-même)
et à l'érosion des souvenirs, chez les moins touchés,
auront pour effet d'amoindrir considérablement le nombre d'affaires
pouvant aboutir en justice, d'autant que certains mouvements -la scientologie
encore !- ont ajouté diverses méthodes extérieures
vicieuses ou quasi terroristes destinées à empêcher
les critiques de parler. La scientologie s'arrange pour rembourser une
partie des sommes des clients insatisfaits, peu avant que les procès
ne passent devant les tribunaux.
J'ai ainsi été menacé à huit reprises de
poursuites si je n'ôtais pas de mes sites Internet certains secrets
qu'elle vend à ses gogos pour un million de F ou davantage, et
l'on ne compte plus les journalistes, juges ou policiers ayant fait
l'objet de pressions amicales ou inamicales de ces mouvements. Je n'ai
jamais obtempéré à leurs demandes, ayant été
suffisamment renseigné sur leurs méthodes et sur la légalité
de ces documents pour me le permettre. Tous les critiques n'ont pas
eu cette chance.
Lavage de cerveau
- Contrôle mental
Le fin du fin des sectes reste le
lavage de cerveau, les techniques de contrôle mental.
Si la psychologie et la psychiatrie s'accordent à dire que le
lavage de cerveau qu'on pourrait qualifier d'absolu ou de définitif
n'existe pas, la simple observation des faits suffit à démontrer
qu'il en existe pourtant à divers degrés. Certains contrôles
mentaux sont assez bénins et très surveillés :
la publicité en fait partie. Les techniques de vente sont un
peu plus complexes et aboutissent parfois à un acte d'achat inconsidéré,
que peu de gens regretteront vraiment ensuite au point d'aller en justice
pour réparation.
Les enfants manipulent leurs parents, les parents leurs enfants, etc.
C'est une forme très adoucie de contrôle mental et les
règles en sont habituellement perceptibles, si bien qu'on ne
parle pas de contrôle mental ici ; pourtant, dans les trois cas
précédents, se cache à divers degrés le
premier outil utilisé par les escrocs et les sectes : le mensonge.
Cela reste la première solution pour obtenir de quelqu'un quelque
avantage qu'il n'aurait pas forcément donné, s'il savait
la vérité. "Le maître a demandé 20 F
pour… " signifie parfois " je veux me payer 20 F de bonbons
".
Du mensonge simple, il faut passer au mensonge à étages
pour arriver au domaine qui nous intéresse. Le gourou prendra
la bible, modifiera à sa guise certains passages, les interprètera
en les éclairant d'une lumière qu'ils ne portent pas,
et grâce à un charisme dévastateur qui n'est qu'une
seconde facette du mensonge, parviendra à transformer l'existence
de dizaines, puis centaines, puis milliers d'individus, leur faisant
perdre tout sens critique. Des groupes comme celui de Jim Jones, 930
morts au Guyana, démarrent petit ; leurs fondateurs ne calculent
même pas forcément les effets de leurs paroles, à
tel point que Le Temple du Peuple fut classé bénin durant
des années… au cours desquelles la paranoïa parfois liée
au pouvoir acquis peu à peu par le gourou sur ses troupes le
transforme instant après instant en un dangereux tyran. Ce type
d'hypnose des foules n'est pas nouveau ; les Hitler, Staline et autres
dictateurs en disposent aussi. Imagine-t'on les allemands obéissant
comme ils l'ont fait, sans qu'une combinaison de forces psychologiques,
financières, et individuelle leur soit appliquée ?
Education…
de l'éducateur
Si toute sorte de remèdes
sociaux ont été mis en branle pour tenter de juguler ces
groupements, aucun n'a remplacé l'éducation ; c'est un
truisme qu'affirmer que la première arme contre le mensonge reste
la vérité, que la meilleure méthode pour lutter
contre l'absence d'esprit critique reste l'éducation et la formation
de cet esprit critique.
Permettez-moi donc d'encourager les discussions à ce sujet, en
essayant d'éviter les aspects trop peu importants, telle l'histoire
du tchador à l'école que je prends ici en illustration.
Le problème est bien davantage une affaire de fond que de forme.
Le jour où les femmes et filles fréquentant nos écoles
démocratiques comprennent mieux les valeurs humaines et les droits
de l'homme, elles cessent, je le crois, de s'inquiéter de la
forme-tchador, pour s'intéresser davantage à leurs propres
droits et devoirs. Le jour où les aspects choquants d'un groupe
fasciste sont répertoriés ou plus facilement reconnus
grâce à l'éducation, le groupe perd sa clientèle,
ou cesse d'être fanatique, à l'exception de ses marges
extrémistes.
Ce jour-là, nous y gagnons tous, car même si l'on peut
reconnaître aux abus une certaine valeur éducative en soi,
autant les réduire pendant qu'il est temps. Aucun besoin désormais
d'une Shoah pour faire passer l'anti-racisme , et aucun besoin de religions
ou sectes voulant dominer le monde pour savoir que les hommes méritent
qu'on leur applique les recommandations de la Déclaration Universelle
des Droits de l'Homme.
Le rapport
de la Mission interministérielle de Lutte contre les Sectes
Peu avant que ne sorte l'article
sur les sectes, nous avons reçu ce long et intéressant
document proposant diverses mesures pour lutter plus efficacement (texte
complet http://www.antisectes.net/mils2000htmfr/htm
ou en word, zippé : http://www.www.antisectes.net/mils2000wordfr.zip).
J'aborderai ici surtout les aspects touchant à l'enseignement
et aux organismes sociaux.
Globalement, il s'agit d'un bon texte, précis, même si
les lectures parfois hâtives qui en ont été faites
n'ont pas immédiatement abouti à une relative unanimité
quant aux solutions porposées : il y a de fortes chances qu'au
fil du temps on y découvre de plus en plus d'avantages et d'efficacité.
Le document est très orienté vers le respect des droits
de l'homme, la qualification de secte au sens moderne étant attribuée
après que des mouvements aient gravement violé ces droits
- à répétition, et sur de longues périodes.
Dans l'Education Nationale, nombre d'actions d'information sur les sectes
ont été entreprises, sous la houlette de M. Groscolas,
inspecteur général, afin par exemple d'améliorer
la formation des maîtres dans les IUFM, et d'en faire prendre
conscience aux élèves, par le biais des manuels d'instruction
civique. Suite à ce qui pourrait passer pour ambiguïté
du rapport, certains ont pu croire qu'il était question de surveiller
les croyances des professeurs ; ce n'est évidemment pas le cas
: le rapport se contente de signaler que des parents d'élèves
proposent que les professeurs membres de certains groupements douteux
n'aient pas de contacts avec les enfants, la Mission ne prend pas parti
.
Pour l'essentiel, le passage consacré aux relations entre la
mission et le Ministère de l'E.N. tend à rappeler que
le point essentiel concerne les droits de l'enfant - en particulier
son épanouissement, dans le respect de la Convention Internationale
des droits de l'Enfant (que seuls, rappelons-le, les USA et la Somalie
n'ont pas signée).
Le chapitre consacré au Ministère de la Jeunesse et des
Sports va dans le même sens, et rappelle que ce Ministère
fut l'un des tout premiers à s'engager dans des actions d'information
et de surveillance vis-à-vis des groupes présentant des
caractéristiques sectaires trop affirmées.
Un long passage (au titre du Ministère de l'Emploi et de la Solidarité)
a trait au fait que dans le domaine des psychothérapies et de
la formation professionnelle, aucun diplôme n'est exigé
pour exercer, ce qui a permis à diverses sectes [psychogroupes,
comme les ont nommées nos voisins outre-Rhin, ou sectes psychanalytiques,
selon le rapport de 1996 de nos députés] de s'engouffrer
dans une brèche de ces domaines au sein desquels la multitude
des techniques et écoles laisse place à une confusion
possible entre techniques éprouvées et douteuses compétences.
Enfin, l'on observe que parmi les cibles préférées
de certaines sectes se retrouvent des organismes à vocation sociale
: la direction générale de la Santé, la direction
de l'action sociale, l'association nationale pour la formation du personnel
hospitalier (ANFH) et d'autres organes similaires sont souvent sujets
aux tentatives d'entrisme [la scientologie s'est fait aux Etats-Unis
une spécialité d'organiser des colloques de management
destinés aux dentistes ou médecins, par exemple. Sans
doute, l'attrait de ces milieux financièrement aisés,
largement écoutés par le grand public et habitués
par ailleurs à ne pas disposer d'une unique réponse face
à un symptôme, facilite-t'il le choix prosélyte
qu'en font les sectes. Certaines d'entre elles comportent aussi nombre
d'avocats : ceux-ci trouvent là une clientèle aux fonds
illimités]
La définition assez brutale (et assez juste à mon sens)
que la Mission a donné du terme " sectes " parachève
le texte : on imagine quelles sont les plus visées:
" Une secte est une association
de structure totalitaire, déclarant ou non des objectifs religieux,
dont le comportement porte atteinte aux Droits de l'Homme et à
l'équilibre social. "
Puis deux mouvements seulement sont
décrits avec quelque détail : ce sont les plus dangereux
en France à l'heure qu'il est : l'OTS - Ordre du Temple Solaire
et sa cohorte de suicides-assassinats, et la scientologie, avec ses
buts totalitaires (le rapport est agrémenté de citations
dont celle-ci correspond remarquablement à l'esprit du fondateur
: " Quand vous quittez une position de puissance, payez immédiatement
toutes vos obligations, déléguez le pouvoir à tous
vos amis et partez armé jusqu'aux dents, doté de moyens
de faire chanter tous vos anciens rivaux, de fonds illimités
sur votre compte privé, d'adresses de tueurs à gages expérimentés,
allez vivre en 'Bulgravie' et soudoyez la police. Et même alors,
vous risquez de ne pas vivre longtemps, si vous gardez une once de pouvoir
dans tout camp que vous ne contrôlez plus aujourd'hui, ou même
si vous ne faites qu'annoncer : "Je soutiens le politicien Jiggs".
Abandonner totalement le pouvoir est partculièrement dangereux."
(Ron Hubbard, Introduction à l'éthique de la Scientologie,
p. 80). "
Il suffisait d'écouter les porte-parole de la secte à
la publication du rapport pour entendre l'absurdité de leur "
argumentation " en réponse aux accusations : " Qu'on
détruise la Mission, qu'on retire le Rapport et : nous allons
fédérer toutes les religions contre la France " fut
en substance leur réaction. Pas un mot évidemment sur
leurs crimes, leurs victimes, leurs condamnations à répétition
- ni sur les ennuis similaires qu'ils ont partout dans le monde.
Roger Gonnet,
Janvier 2000
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