Le Juge Georges Fenech parle des sectes

 


 

Résumé: M. Georges FENECH a été juge d'instruction du long procès contre la scientologie à Lyon (1989-1997). Il a été président de l'association Professionnelle des Magistrats, auteur du livre "Main Basse sur la Justice" dont est tiré ce passage.


 

UN JUGE PARLE


A Prosecutor speaks on cults
(From the book "MAIN BASSE SUR LA JUSTICE", J.C. Lattès éditeur, isbn 2-7096-1773-0)
Extrait reproduit ici avec l'autorisation de l'auteur
 


M. GEORGES FENECH was the Prosecutor  (Juge d'instruction) during the Scientology suit for homicide, fraud and extortion in Lyon. He is the well-known President of the A.P.M. (association of Professionnal Magistrates).
 
 

Le fléau des sectes.
(pages 266 à 268 de"Main Basse sur la Justice")

Les juges se retrouvent seuls face au terrorisme, ils le sont aussi face à ce nouveau fléau, au moins en amplitude, que représentent les sectes Ayant eu moi-même a instruire le dossier de "l'Eglise de scientologie ", j'ai pu éprouver toutes les difficultés de cette tâche.

Juillet 1990.


Des dizaines d'adeptes repentis de la scientologie viennent me trouver, réclamant de la Justice l'écoute qui leur fait défaut ailleurs. Pris de vertige, je découvre les arcanes d'un monde secret avec ses codes, son langage, ses rites. J'interroge autour de moi et vois les portes se refermer une à une . au conseil de l'Ordre des Médecins, l'on est peu.enclin à se prononcer sur d' éventuels exercices illégaux de la médecine ; au bureau des cultes du ministère de l'Intérieur, l'on me fait comprendre que d' éventuelles mesures pourraient être prises, mais après que la Justice se sera prononcée. Sage prudence des uns et des autres : rien, en effet, ne me sera épargné; les policiers du S.R.P.J. de Lyon accusés de hold-up ; l'expert-psychiatre Jean-Marie Abgrall, traîné devant toutes les juridictions de France et de Navarre [Pour ces faits, leurs responsables seront condamnés le 11 octobre 1996 par le tribunal correctionnel de Toulon à des peines allant jusqu'à 18 mois d'emprisonnement avec sursis et 50 000 F d'amende.] ; moi-même gratifié de deux procès en Suisse, d'une trentaine de plaintes pour atteinte à la liberté ainsi que violation du secret de l'instruction tant à Lyon qu'à Paris, avec, en prime, une requête en suspicion légitime devant la chambre criminelle de la cour de Cassation, sans compter la surveillance attentive d' un ancien membre des "gendarmes de l'Elysée" reconverti comme détective privé ou les milliers de recommandations arrivées sur mon télécopieur m'intimant de cesser mon oeuvre " inquisitoriale ". A quoi s'ajouteront le concert de protestations des "apôtres " célèbres - la cantatrice Julia Migenes Johnson et le comédien Xavier Deluc feront le voyage de Lyon, ainsi que, semble-t'il, un sordide complot ourdi par un mystérieux agent F 10 gravitant dans les sphères du pouvoir [Selon L'Evènement du Jeudi et Serge Faubert, Une secte au coeur de la République, ed. Calmann-Uvy, 1993] . Au terme d'un véritable parcours du combattant, je finis tant bien que mal par clôturer mon instruction en juillet 1994. Il faudra attendre encore deux années avant que l'affaire ne soit audiencée. Entretemps s'est déroulé, dans le Vercors, l'horrible drame de l'Ordre du Temple solaire, et le garde des Sceaux, Jacques Toubon, a dû adresser des instructions écrites au parquet. A ce rythme, un an de plus et la prescription aurait été acquise [Il est vrai que la magistrature lyonnaise était fort accaparée par les affaires Noir, Botton, Mouillot, Carignon ]

Le 8 octobre 1996, à l'issue de huit journées d'audience, l'un des avocats de la défense, maître Maisonneuve, déclare à la télévision " Je me demande si, dans cette affaire, le juge ne s'est pas substitué au législateur. " La remarque est grave En un sens, it est inutile de se voiler la face : les pouvoirs publics n' ont jamais abordé de front le problème des sectes même si des hommes politiques tels que les députés A. Vivien en 1985 et A. Gest [dont le message d'encouragement, le 24 Janvier 1996, me fit un grand bien : qu'il en soit ici remercié] en 1995 ont su courageusement lever le voile à l' occasion de rapports remarquables. Place Vendôme, la volonté d'agir n' est pas apparue d'emblée, comme le souligne le rapport de la commission d' enquête accusant un certain retard dans la transmission même des informations [En date du 22 Décembre 1995]. Cette frilosité est d'autant moins compréhensible que les R.G. évaluent à 160 000 adeptes au moins occasionnels et 100 000 sympathisants le nombre de nos concitoyens mêlés aux groupes sectaires. Comme le notait Claude Pernollet, le président de l'US.M., le 19 octobre 1996, après avoir analysé la crise de confiance qui règne dans le pays et le fait que les Français se tournent de plus en plus vers la Justice : " Notre pays, état de droit, ne doit pas devenir une société contentieuse pour autant, le front judiciaire n'est pas une panacée. " Je m'accorde avec sa pensée. Elle fait d'ailleurs, pour moi, écho au point de vue de M. Vivien selon lequel " Il ne faut pas créer de législation particulière au risque de faire apparaître les sectes pour des martyrs. L'arsenal dont nous disposons est tout à fait suffisant. Ne suffit-il pas de l'appliquer [le Figaro, 24 Avril 1992] , " Les sectes sont bien un fléau et.la réponse à celui-ci ne peut être simplement judiciaire; il y faut aussi une volonté sociétale politique.