(pris dans Libération)
Pour les gens
pressés, lire la partie en bleu...
Le négationnisme ronge toujours Lyon-III
Après un mémoire sur «la race», enquête
sur les liens de la fac avec l'extrême droite.
Par OLIVIER BERTRAND
Le mardi 5 juin 2001
Retour Quotidien - Accueil
Les autres jours
Lundi - Mardi - Mercredi
Jeudi - Vendredi - Samedi
«Je me suis laissé entraîner dans une spirale par
des profs qui ont laissé des étudiants démolir
leur avenir sans jamais payer.»
Pascal Garnier, étudiant «repenti»
Lyon de notre correspondant
Elles veulent en finir avec l'ambiguïté. Cette semaine,
plusieurs associations lyonnaises vont demander au ministère
de l'Education nationale la mise en place d'une commission d'historiens,
chargée d'étudier le poids de l'extrême droite au
sein de l'université Lyon-III (Jean-Moulin). L'ampleur des dérapages
négationnistes et néonazis des années 1990 n'est
pas encore connue (1), mais l'on sait que des enseignants d'extrême
droite continuent d'assurer, en plus de leurs cours, le recrutement
et la promotion de leurs amis (lire ci-contre). En outre, un collectif
d'associations (2) va également réclamer l'annulation
du diplôme de maîtrise de Pascal Garnier, aujourd'hui militant
de la Ligue savoisienne et «repenti de l'extrême droite»,
selon ses termes. Ce serait le deuxième cas après celui
de Jean Plantin, dont la maîtrise avait été annulée
en novembre 2000 par Lyon-II (3). La maîtrise de Garnier, truffée
de références antisémites, a reçu la mention
bien en 1990 de la part des professeurs qui avaient validé le
DEA de Plantin. Le parcours des deux étudiants montre l'étonnante
porosité entre l'université et les milieux d'extrême
droite, ainsi que le rôle ambigu joué par leur directeur
de recherche commun, un mandarin dont la réputation ne le rendait
guère suspect de sympathies négationnistes.
Bière et chants nazis. Dès son arrivée à
Lyon-III, au début des années 80, Pascal Garnier croise
un grand nombre d'enseignants marqués politiquement. Notamment
Pierre Vial, qui anime le courant néopaïen du Front national,
Jean-Paul Allard, qui a validé en 1985 la première thèse
négationniste française, ou encore Jean Varenne, cofondateur
du Grece (Groupement de recherche et d'étude pour la civilisation
européenne), mouvement des intellectuels de la nouvelle droite.
Ce dernier recrute Garnier au Grece. En ville, l'élève
retrouve en outre certains de ses maîtres dans des mouvements
d'extrême droite. Il appartient également à Edelweiss,
un groupuscule fondé par Pierre Vial : randonnées en montagne,
soirées à boire de la bière en chantant des chants
nazis et entraînement au tir dans les monts du Lyonnais.
Pour sa maîtrise, Pascal Garnier se rapproche de Régis
Ladous, un professeur plus proche de la démocratie chrétienne
que de la droite dure. Ladous peine à expliquer ce choix et surtout
les raisons pour lesquelles il a accepté ce drôle d'étudiant.
«Quand je suis arrivé à la fac, j'étais très
con, reconnaît-il. Il n'y a pas d'autre mot. Je croyais qu'un
garçon de 20 ans ne devait jamais être considéré
comme perdu. Eh bien, non. Un garçon de 20 ans peut être
aussi dangereux et aussi fossilisé qu'un vieux salaud de 60 ans.
Mais convenez que ce n'est pas facile à reconnaître, quand
on a voulu être enseignant.» Pascal Garnier travaille avec
Ladous sur «Le thème de la race dans l'Emancipation nationale»,
journal collaborationniste de Jacques Doriot. Il empile les réflexions
antisémites et fait longuement l'éloge de Georges Montandon,
«raciologue» français qui se livrait à des
expertises pour les SS pendant la guerre, dans les «cas douteux
d'aryanité». Pascal Garnier décrit le personnage
comme un «esprit nuancé et subtil». Il décroche
la mention bien du jury qui validera plus tard le DEA de Plantin.
L'année suivante, Garnier n'obtient curieusement que 3/20 à
son DEA, pour un mémoire pourtant moins sulfureux que la maîtrise.
Son directeur de recherche prétend que l'étudiant a présenté
un travail qui n'avait rien à voir avec celui qui avait été
préparé. «A mon avis, estime Garnier, en parlant
de ses professeurs, il a pris peur : l'affaire Notin venait d'éclater
à Lyon (4), il fallait devenir prudent. Mais avant ça,
plus les sujets étaient sulfureux et plus Ladous était
intéressé.» L'enseignant répond qu'il a «appris
à ne pas craindre les voisinages sulfureux, à condition
que cela reste des voisinages». Mais, du voisinage à l'encerclement...
En 1992, Régis Ladous participe à la tenue d'un colloque,
coorganisé à Lyon par le Cesnur, mouvement italien fondé
en 1988 pour étudier les «nouveaux mouvements religieux»,
formule pudique qui désigne les sectes. L'époque est au
syncrétisme. Mouvements d'extrême droite, intégristes
religieux et responsables de sectes se rapprochent, avec parfois la
bienveillance d'universitaires. A la tribune, on retrouve des professeurs
lyonnais, mais aussi un militant néonazi, responsable du mouvement
radical Nouvelle Résistance.
«Dérives».
Régis Ladous assure qu'il s'est écarté du Cesnur
après trois colloques, dès qu'il a constaté les
«dérives» de son directeur, Massimo Introvigne, un
avocat proche des mouvements catholiques traditionalistes de l'extrême
droite italienne. Mais auparavant, Ladous aura aidé le Cesnur,
comme Garnier ou Plantin, dans leur quête de légitimité
universitaire. Son nom apparaît en effet dans les statuts du Cesnur,
déposés en 1990 à Foggia. Il a fait partie du «comité
scientifique» du Cesnur de 1990 à 1993, avec une poignée
d'autres professeurs européens et américains, comme ce
chercheur californien parti en 1995 enquêter au Japon sur l'attentat
au gaz sarin attribué à la secte Aum dans le métro
de Tokyo. Le voyage avait été payé par la secte
elle-même.
«Si tout cela est vrai, Régis Ladous doit à présent
s'expliquer sur ces éléments, estime Pierre Hémon,
secrétaire national de Ras l'front. Nous voulons comprendre s'il
a été manipulé ou s'il était conscient de
ce qu'étaient les étudiants et associations qu'il a soutenus.»
Les ambiguïtés du professeur compliquent en effet nettement
la lutte contre le négationnisme à Lyon. Car Régis
Ladous appartient par ailleurs à l'association René-Cassin,
engagée à l'université contre l'extrémisme
et le négationnisme. Jusqu'à la révélation
de l'«affaire Plantin», il dirigeait également l'Institut
d'histoire du christianisme, une institution lyonnaise dont le précédent
directeur travaille aujourd'hui auprès du Vatican. De nombreux
mandarins s'étonnent, mais sont embarrassés. Récemment,
le président de Lyon-III a demandé à Régis
Ladous de réunir à nouveau le jury qui avait validé
le DEA de Plantin. Une décision que la plupart des associations
luttant contre l'extrême droite analysent comme une diversion,
pour ne pas répondre aux questions plus structurelles posées
par l'encombrante présence de cette composante au sein de l'université.
Régis Ladous refuse d'obtempérer, estimant que Plantin
sortirait gagnant d'un bras de fer.
«Spirale». Pendant que leur ex-directeur d'études
se débat, Jean Plantin est devenu éditeur et Pascal Garnier
a continué quelques années sa route au sein de l'extrême
droite. Plusieurs fois, Garnier a croisé ses anciens professeurs
dans les universités d'été de Synergies européennes,
mouvement né d'une scission du Grece. Il a intégré
la Ligue savoisienne en 1997, tout en continuant ses activités
à l'extrême droite jusqu'à l'été 1998.
Avant de décrocher. Aujourd'hui, il estime s'être «laissé
entraîner dans une spirale par des professeurs qui ont laissé
des étudiants démolir leur avenir sans jamais payer. C'était
mon voyage au bout de l'extrême droite».
(1) Plusieurs mémoires ont disparu de l'université, dont
la bibliothèque a depuis été incendiée,
en juillet 1999.
(2) Hippocampe (association étudiante), la Ligue des droits de
l'homme et l'association Laïcité et République demandent
l'annulation de la maîtrise de Pascal Garnier et s'associent à
Ras l'front, SOS Racisme, le cercle Marc-Bloch, l'Union des étudiants
juifs de France et l'Unef-ID pour réclamer celle du DEA de Plantin.
(3) Cet étudiant négationniste a été condamné
le 13 mars 2001 par la Cour de cassation pour «contestation de
crimes contre l'humanité».
(4) En 1990, l'enseignant Bernard Notin avait publié un texte
négationniste et antisémite dans une revue financée
par le CNRS.
L'extrême droite de la fac renforce ses rangs
Des enseignants de Lyon-III collaborent à des revues troubles.
Par OLIVIER BERTRAND
Lyon de notre correspondant
L'extrême droite a-t-elle disparu de l'université lyonnaise
? Ou est-elle seulement un peu plus prudente ? Le 24 mars 1999, la préfecture
du Rhône a enregistré la création d'une Société
internationale des études indo-européennes, dont le bureau
compte quatre professeurs de Lyon-III. Cinq mois plus tôt, ces
derniers avaient été obligés de dissoudre à
l'université leur Institut d'études indo-européennes,
sous la pression d'une enquête universitaire et d'associations
d'étudiants. L'institut recyclait les thèses de la nouvelle
droite.
Jean-Paul Allard préside la nouvelle structure, dont le siège
se trouve chez lui et dont le secrétaire général
est Jean Haudry, professeur à la retraite, cofondateur du Grece
et candidat MNR aux dernières cantonales. Autre membre du bureau,
Jean-Pierre Grazioli, qui fréquentait dans les années
80 les groupuscules nationalistes lyonnais et a ouvert depuis une librairie
d'extrême droite à Nancy. Ville où l'homme s'est
fait arrêter au début de l'année avec deux militants
du Gud. Tous trois sont soupçonnés d'avoir distribué
des tracts racistes à Nancy. Une information judiciaire est ouverte.
L'épouse de Grazioli, Isabelle Rozet, appartient également
à la Société internationale des études indo-européennes.
Ancienne étudiante de Jean-Paul Allard, elle est devenue maître
de conférences et a été embauchée à
Lyon-III après avoir dirigé l'institut d'allemand de Nancy-II.
Elle écrit dans diverses revues d'extrême droite, comme
Antaios ou Enquête sur l'histoire, où collaborent également
Pierre Vial, Jean-Paul Allard et Bernard Lugan. Ce dernier, enseignant
à Lyon-III, se faisait remarquer dans les années 90 en
se déguisant pour mardi gras avec un casque et un fouet et chantait
des chants coloniaux à ses étudiants. Le 27 mars, le bureau
de Lyon-III a décidé l'avancement de ce professeur folklorique
au rang de maître de conférences «hors classe».
Au nom de son «implication dans l'établissement»
et de son ancienneté. Le comité d'administration devait
choisir dans une liste de 46 postulants, dont 14 avaient une ancienneté
supérieure. Sur 18 votants, 11 ont choisi Bernard Lugan.
|